Nuovi autori: Mikhail Shishkin

Mikhail Shishkin

Nato a Mosca nel 1961, MIKHAIL SHISHKIN vive tra Mosca, la Svizzera e Berlino. E’ considerato uno dei maggiori autori russi contemporanei. Con i suoi romanzi, tradotti in molti paesi, ha ottenuto non solo il favore della critica e del pubblico, ma anche numerosi premi, fra cui il National Bestseller Prize per Capelvenere (Voland, 2006), il Booker Prize russo per La presa di Izmail (Voland, 2007) e il Grinzane Cavour-Mosca 2007.

Vi proponiamo la traduzione in francese tratta da

From Le Fuyard et le bateau (À propos de Vladimir Charov)
Written in Russian by Mikhail Shishkin

Translated into French by Maud Mabillard

Les canons littéraires apprennent à travailler au burin, comme Bounine, enlevant tout le superflu dans ce qu’on a vu. Toi, tu tisses. Ta prose enveloppe.

Tu as besoin de prendre ton élan. Tu ne peux pas donner d’emblée toute leur voix à tes personnages. Tu commences toujours par une lettre, un journal intime, des souvenirs, tu continues à t’échauffer avec des articles, des thèses, des conférences, sinon entièrement recopiés, du moins résumés, tu expliques au lecteur quelque chose sur une correspondance soi-disant retrouvée dans les Archives populaires – mais ce sont, à chaque fois, des gestes d’hypnotiseur. Leur tâche est d’envoûter. Ton intonation tranquille nous berce, nous fait entrer en transe. La lecture de ta prose est une hallucination, un voyage dans un rêve avec un nombre infini de changements de train, et dans chaque compartiment, dans la salle d’attente, derrière la table du buffet, chaque personne rencontrée cherche à épancher son cœur. À un moment donné, on comprend soudain qu’ils racontent tous la même histoire, et le lecteur devient à son tour une partie de cette histoire, son corps – elle grandit à l’intérieur de lui. Ton style, au début flou et inarticulé, acquiert une élasticité, une souplesse nouvelle.

Ta ration lexicale ne comporte aucun raffinement, aucun dessert, rien que le strict nécessaire. J’imagine la grimace que ferait Nabokov. Tu prends les mots les plus humbles, déguenillés et va-nu-pieds, et de ces mots-souillons naissent des rafales de fantasmagories.

N’importe quel maître d’école t’expliquerait facilement pourquoi on n’écrit pas de romans comme tu le fais. Ton Kolia Gogol veut rédiger le deuxième tome des « Âmes mortes », mais il ne parvient qu’à en écrire le synopsis. Électre raconte le synopsis d’« Agamemnon ». De la même façon, tous tes romans sont les synopsis de tes romans. Tu n’as que faire de la psychologie des paysages, du plâtrage des caractères ou du bruissement des dialogues, tu tiens à dire l’essentiel.

Tes romans ont tous le même sujet. Ils commencent par l’introduction malhabile, confuse, d’une parabole. La métaphore tient soigneusement le roman dans le creux de la main, pour qu’il ne s’éparpille pas. Puis commence la quête de sa signification, et le lecteur suit les personnages dans un voyage à la recherche du salut, de Dieu. Très vite, cette quête se transforme en poursuite endiablée, à vous couper le souffle. Déjà, on ne peut plus lâcher le livre.

Tu as grandi à toute vitesse avec « Le Chantier » et « Tchevengour », lus pendant ton adolescence. Platonov t’avait alors pris dans ses bras, et il ne t’a jamais lâché depuis. Il ne s’agit bien sûr pas de sa langue, mais de l’attraction incroyable qu’exerce sa prose. La foi sincère de Platonov a généré un champ de forces qui ne le cède pas en puissance à l’ouragan de foi des premiers chrétiens ou des sectaires russes. Cette attraction emporte aussi tes personnages. Elle aspire le lecteur dans tes romans. Plus la cheminée est haute, plus le tirage est grand : ton lecteur est entraîné au ciel.

Ta prose est un chœur, une prière chorale. Une confession de groupe. Tous tes personnages ne font que se confesser avec ardeur. Ils n’ont pas peur de la mort, ils n’ont pas de temps pour ça, ils se préparent au Jugement dernier. Tout le reste leur est indifférent. Tu es leur auteur, mais tu n’as écrit que ce qu’ils disaient, sans te permettre aucun ajout personnel.

Tu n’as pas de dialogues, parce que les dialogues impliquent les particularités du discours individuel. Tes personnages parlent la langue de la compréhension universelle, la langue dans laquelle tout le monde se comprenait avant l’apparition de la langue : le père Irinakh comprend les vaches, le Français Septan discute sans traduction avec les habitants du village sibérien de Mchanniki.

Ton image favorite était celle de la bouillie mélangée avec une cuillère. C’est ainsi que tu parlais de la machine d’État stalinienne qui brassait le peuple, le transformait en une masse uniforme. Comme la cuillère mélangeant la bouillie, tu mélangeais tes personnages, écrasant les grumeaux. Ayant commencé à parler dans un roman, n’importe lequel d’entre eux pouvait, sans même buter sur une virgule, continuer entre les pages d’un autre. Narrateurs, auteur, tchékistes, Fiodorov, Madame de Staël, adeptes de la secte des fuyards, bourreaux, oncles-correspondants, dénonciateurs, des dizaines de voix se suivent et se confondent, fusionnant dans une seule intonation, s’unissant dans une même respiration. Ce qui importe, ce n’est pas qui parle et avec quels mots, mais ce qu’ils veulent dire. Quel que soit leur interlocuteur, leur discours est toujours adressé à Dieu, sur ta planète c’est la seule raison d’articuler des paroles. Tous les gens sont différents, mais seule la force de leur foi les différencie : « Pour n’effrayer, ne repousser personne, le Seigneur donne même à chacun une Foi selon ses moyens ».

Et le temps dans tes romans – la bouillie informe en question – est bien mélangé, bien épais, du temps russe cuit dans le sang. Que tu parles du Temps des troubles ou du régime des camps – nous sommes toujours dans le présent.

On essaie de t’attribuer une « histoire alternative ». L’histoire alternative est dans leurs manuels scolaires sans cesse modifiés, pas dans tes romans. La science historique, en Russie, est depuis des siècles un instrument d’escamotage de la vérité historique. Il ne nous reste donc plus, pour aller à la vérité, qu’à passer non par la « science », mais par la poésie.

Après l’ours frappeur d’enclume de Platonov avec son solide instinct de classe et les radeaux emportant les koulaks condamnés sur la rivière – qu’est-ce que ton histoire a d’« alternatif » ? « Alternatif » était l’absurde dans lequel le pays a dû se débattre pendant les derniers cent ans, tout en assurant au reste du monde que nous vivions au paradis, et les convulsions n’ont toujours pas cessé. Qu’est-ce qui pourrait être plus fantastique et plus invraisemblable que la divinisation de Staline ? Ou le corps impérissable exposé au centre de la capitale ? Nous avons grandi dans une réalité où un mort était plus vivant que tous les vivants. Que peut-il y avoir de plus impossible que des proches exécutés d’une balle dans la nuque ? Comment vivre dans un monde où les morts sont enfermés, avec leurs dénonciations, dans des dossiers portant le sceau : à conserver éternellement ? La fantasmagorie de tes romans n’est qu’une ombre portée par la folie la plus authentique de la vie russe. La guerre avec l’Ukraine n’est-elle pas plus fantastique que l’invention la plus aberrante ? Ce qui aujourd’hui semble un délire impossible fera, demain, partie de notre environnement.

Tu te considérais comme un réaliste. Et tu avais raison. Tu n’avais pas besoin d’inventer. Toute l’histoire de la Russie, après Nicolas Gogol, n’est qu’une tentative fiévreuse et vouée à l’échec d’achever le deuxième tome, celui que l’auteur avait brûlé, parce qu’il était impossible : « Le Purgatoire ». Quant au troisième tome, on n’en parlera même pas.

Published July 26, 2019
© Specimen 2019

From Бегун и корабль (Шишкин о Владимире Шарове)
Written in Russian by Mikhail Shishkin

Канон учит работать резцом, как Бунин, отсекая от увиденного все лишнее. Ты — ткач. Твоя проза обволакивает.

Тебе нужен разгон. Ты не можешь дать героям сразу их полный голос. Ты всегда начинаешь с чьего-то письма, дневника, воспоминания, разминаешься на чьих-то статьях, тезисах, лекциях, если не записанных, то пересказанных, объясняешь читателю что-то про какую-то переписку, якобы найденную в Народном архиве, но это все — гипнотические пассы. Их задача — заворожить. Твоя неспешная, убаюкивающая интонация вводит в транс. Чтение твоей прозы — наваждение, поездка во сне с бесконечными пересадками, и в каждом купе, в зале ожидания, за столиком бутербродной каждый встречный норовит излить душу. В какой-то момент вдруг приходит понимание, что все они рассказывают одну и ту же историю, и читающий сам становится ее частью, ее телом — она прорастает в нем. Стиль, поначалу аморфный и невнятный, приобретает упругость, пружинистость.

В твоем словарном рационе нет никаких изысков, никакого десерта, лишь самое необходимое. Представляю, какую физиономию скривил бы Набоков. Ты берешь самые непритязательные слова, босые и сирые, и из этих слов-замарашек рождаются шквальные фантасмагории.

Любой школьный учитель литературы легко объяснит тебе, почему так романы не пишутся, как это делаешь ты. Твой Коля Гоголь хочет написать второй том «Мертвых душ», но у него получается только синопсис. Электра пересказывает синопсис «Агамемнона». Так все твои романы — синопсисы твоих романов. Тебе не до психологии пейзажей, штукатурки характеров или журчания диалогов, тебе важно сказать самое главное.

Во всех романах один и тот же сюжет. Сперва вводится притча, неловко, путано. Метафора бережно держит роман в пригоршне, чтобы не расплескался. Начинаются поиски ее смысла, читатель вместе с героями отправляется в путь за спасением, за Богом. Очень скоро поиски превращаются в бешеную погоню, от которой дух захватывает. Оторваться от книги уже невозможно.

Ты вырос, как на дрожжах, на «Котловане» и «Чевенгуре», прочитанных в отрочестве. Платонов как обнял тебя тогда, так больше и не отпустил. Речь, разумеется, не о языке, а о невероятной тяге, которую создает его проза. Искренняя платоновская вера рождала силовое поле, не уступавшее по мощи ураганной вере первохристиан или русских сектантов. Эта тяга уносит и твоих героев. Эта тяга засасывает читающего в твои романы. Чем выше труба, тем сильнее тяга — твоего читателя уносит в небо.

Твоя проза — это хор, хоровая молитва. Групповая исповедь. Все твои герои только тем и занимаются, что истово исповедуются. Они не боятся смерти, им некогда, они готовятся к Страшному суду. Все остальное их не интересует. Ты — их автор, но писал только то, что они говорили, не позволяя себе никакой отсебятины.

У тебя нет диалогов, потому что диалог подразумевает особенности индивидуальной речи. Твои герои объясняются на языке всеобщего понимания, на том языке, на котором все понимали друг друга до появления языка: отец Иринарх понимает коров, француз Сертан без перевода общается с жителями сибирской деревни Мшанники.

Твоим любимым образом была каша, перемешиваемая ложкой. Так ты говорил о сталинской государственной машине, которая перемешивала народ, делала его однообразной массой. Вот так же, как кашу ложкой, ты перемешивал своих героев, перетирал комочки. Начав говорить в одном романе, любой из них мог бы, не запнувшись на запятой, продолжить на страницах другого. Рассказчики, автор, чекисты, Федоров, мадам де Сталь, бегуны, палачи, дядья-корреспонденты, доносчики, десятки голосов переходят друг в друга без шва, сливаясь в одной интонации, соединяясь в одно дыхание. Важно не кто говорит и какими словами, а лишь то, что они хотят сказать. К кому бы они ни обращались, их речь всегда обращена к Богу, на твоей планете это единственный смысл говорения. Все люди разные, но различаются только силой веры: «Чтобы никого не испугать, не оттолкнуть, Господь даже Веру каждому дает по силам».

И время в твоих романах — та самая размазанная каша — хорошо размешанное, наваристое, русское время, заваренное на крови. Там что смута, что лагерный порядок — всегда современность.

Тебе пытаются приписать какую-то «альтернативную историю». Альтернативная история — в их бесконечно меняющихся школьных учебниках, а не в твоих романах. Историческая наука в России уже столетия — инструмент сокрытия исторической правды. Значит, к истине остается идти не через «науку», а через поэзию.

После платоновского медведя-молотобойца с верным классовым чутьем и уплывающими вниз по реке плотами с обреченными кулаками — что в твоей истории «альтернативного»? «Альтернативным» был тот абсурд, в котором билась страна последние сто лет, заверяя весь мир, что мы живем в раю, и конвульсии никак не прекращаются. А что может быть фантастичнее и неправдоподобнее обожествления Сталина? Или нетленного трупа в самом центре города? Мы же выросли в действительности, где мертвый живее всех живых. Что может быть невозможнее родных людей, расстрелянных в затылок? Как жить в мире, где убитые вместе с доносами лежат в папках со штампом «Хранить вечно»? Фантасмагории твоих романов — лишь тень, бросаемая самым достоверным безумием русской жизни. Разве война с Украиной не фантастичнее самого нелепого вымысла? То, что сегодня кажется невозможным бредом, завтра становится окружающей средой.

Ты себя считал реалистом. И правильно делал. И тебе ничего не надо было придумывать. Вся история России после Николая Гоголя — лихорадочная и обреченная попытка дописать сожженный, потому что невозможный, второй том — «Чистилище». Про третий уже и говорить нечего.

Published July 26, 2019
© Michail Shishkin

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